vendredi 16 octobre 2009

TE SOUVIENS-TU MAMAN ?

par Pierre Gagné

Te souviens-tu Maman du temps où tes lilas en fleurs soulignaient l’arrivée du printemps ? Tu sais, le temps des rues de terre et des tramways. Ce temps où l’épicier du coin faisait la livraison avec son vieux cheval. Le temps des maisons en papier brique, celui de la radio et des « Joyeux troubadours ». Le temps où les valeurs humaines comptaient plus que les biens matériels.

Je me souviens d’un homme de ce temps-là. Il était à la fois philosophe et fabricant de jouets, pédagogue et entrepreneur en rénovation de maison, politicologue et coiffeur pour enfants, juge et professeur de balai, un sacré joueur de cartes et un grand orateur… sous le feu de la colère. Il aimait ses enfants et nous l’aimions aussi.

Te souviens-tu Maman du temps où tes enfants étaient encore des écoliers, du temps où ils se réveillaient devant un bol de « soupane » ? C’était le temps du petit catéchisme, de l’achat des petits chinois et des demiards de lait. Le temps des multiplications à deux chiffres et des transparents, des plumes à l’encre et des craies de cire. C’était le temps où notre imagination d’enfant transformait nos effaces en transatlantiques et nos crayons en aéroplanes. C’était le temps où il fallait marcher dans les traces de nos aînés et gagner la médaille d’honneur, où notre fierté résidait dans la réussite d’un concours de dessin ou de géographie. C’était ce temps passé où tu chantais nos louanges à la mesure des notes de notre bulletin scolaire.

Te souviens-tu Maman des jeux de tes enfants, de ces après-midi à la côte ? Des hirondelles, des excursions de pêche à la rivière, des prairies, de nos compétitions de nage libre dans notre piscine de ciment, des éliminatoires de la coupe Stanley que nous disputions sur la patinoire chez les Auger ? Rappelle-toi Daniel ce cascadeur, cet acrobate qui travaillait sans filet. Te souviens-tu de cette fois où nous avions organisé pour les enfants de la rue une grande tombola ? Jean-Pierre y jouait le rôle d’un grand magicien. Te souviens-tu encore de mon tricycle et du petit bateau de bois que papa m’avait fabriqué ?

Te souviens-tu Maman des mille et un plans de fou qui ont germé dans nos petites têtes d’enfants ? Te souviens-tu de tous ces coups pendables qui t’ont fait blanchir les cheveux ? Te souviens-tu de ceux qui brisèrent ta vaisselle incassable, de ceux qui défoncèrent le petit lit de bois, de celui qui faillit mettre le feu à la maison, de celui qui mettait le feu à la savane et appelait les pompiers, de celui qui, croyant boire de l’eau, avala une pinte d’huile, de celui qui se fit ébouillanté vif, de ceux qui perforaient le plancher de cave à coup de « vingt-deux », de celui qui cassa la vitrine de l’épicier, de ceux qui escaladaient les arches du pont Pie IX, et de tous ceux encore qui se brisèrent une jambe ou un bras?

Lorsque je repense à ce temps-là, c’est un monde d’enfant que je revois : celui qui était le mien. Je me retrouve alors au milieu de tous ces personnages à la fois familiers et fantastiques qui peuplaient mon univers. Chacun d’eux avait une étiquette qui s’inspirait soit de la réalité ou soit de la légende qui les entourait. Ainsi, il y avait Ernest apparaissant sous les traits de Salomon courroucé dont les « baudits crousse de barde baudite » restés légendaires résonnent encore au fond de ma mémoire. Il y avait aussi Thérèse qui ressemblait à la Sainte Vierge Marie (exception faite des dix-sept enfants) celle que l’on devait voir pour intercéder en notre faveur auprès du père. On y retrouvait aussi Marcel le demi-dieu, Madeleine la grande sœur dévouée et exemplaire, Gérard l’aventurier et casse-cou, Colette la sainte missionnaire, Laurent le surhomme humain, Charles le grand frère sérieux et ingénieux, Gertrude la marraine fée au cœur d’or, Jacques l’intellectuel sportif, Denis le grand connaisseur, Lise la sœur diplômée, Paul le chef de gang pyromane, Jocelyne l’effacée, l’inconnue, Michel alias Tarzan dit le justicier, Daniel le touche-à-tout bon cœur, Claire le « Tom boy » berçant et Suzanne la petite sœur amie.

Bien sûr, depuis ce temps ma vision de la famille a changé, mais je garde précieusement en mémoire tout comme toi, un petit bout de film sur chacun de ces personnages merveilleux.

Ton fils Pierre