mardi 13 avril 2010

La nature de mon écriture


Tout le monde s'entend pour dire que l'hiver fût des plus cléments et le printemps promet d'être tout à fait charmant…

Depuis quelques jours je suis tiraillée entre l'écriture et l'appel de la nature. Quand je suis devant mon écran et que je pianote sur mon clavier, le temps devient accessoire et ma vie s'étale en verbes et adverbes, elle se raconte et se rappelle, elle s'envole et s'imprime. Elle devient docile et fragile.
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Quand je suis devant mon jardin et qu'il s'éveille tel un pantin qui déroule lentement chacun de ses muscles, quand je suis sur le terrain qui se dépare de sa couverture de neige et s'offre aux chauds rayons du soleil, quand je suis là, présente à la renaissance de la nature j'en perds mon verbe et ma nomenclature pour me couler dans l'attente annoncée de la verdure.

Chaque parcelle de mon jardin qui se dénude et s'offre à moi me rend complètement gaga…
Je scrute et reluque toutes pousses, brindilles et rejetons qui exhalent la résurrection de mon divin paradis.
Car pour moi le divin, c'est la vie! La vie, c'est la flore, c'est la faune, c'est la terre ; c'est cette boule de gomme qui fait de moi un homme…

Oh! Attention, mes bottes sont du même vert fluo que mes gants de jardinage et je ne sacrifie en rien ma féminité. Mais je deviens tout à coup une femme de terrain et rien ne m'effraie ou me freine, je suis toujours une princesse, mais ma couronne est d'aubépine et ma cour est parsemée de roses, de pivoines et d'échinacées: les fleurs sont mes richesses.

imageJe cultive la vigne, le lilas et les hortensias. J'adore les astilbes,   les astrances et les hémérocalles. Mais les arbres majestueux qui étaient là bien avant moi et qui règne sur mon petit coin de terrain m'ont appris à apprivoiser les ligularias,image les lobelias et les hostas.

Quand enfin les journées se font longues et se réchauffent, je me languis de bonheur à l'idée de ces tableaux de maître qui s'offriront bientôt à moi. Je me dégourdis de ferveur afin de hâter l'éclosion de ces splendeurs. La nature est forte et généreuse, elle me comble et m'éblouit, me réconforte et me réjouit.

Il n'y a pas, à mon avis, de méditation plus pure et bienfaisante qu'une session de jardinage. Courbée sur un bosquet, ou agenouillée près d'une plate-bande, les doigts scrutant le sol à peine sorti de son sommeil hivernal, le regard accroché au moindre fourmillement de vie, toute volonté canalisée sur ce moment ultime me rend plus zen qu'un mantra répété cent fois…

Dès que la lumière s'accroche au petit matin et fait foi d'une journée bénie, me voilà envoûtée et séduite, cela me remplit d'une telle énergie; je sais alors que mes heures seront de bonheur et qu'elles m'apporteront une immense satisfaction. Le petit déjeuner vite expédié, mon excitation face à la journée qui débute est à peine surpassée par celle de mes deux compagnons dont la joie brute est déclenchée par l'odeur exaltante du réveil de la nature.

imageLeurs truffes frétillent à l'idée de découvertes maintes fois retrouvées; les écureuils qui les narguent sautillant d'arbre en arbre et virevoltant tel des acrobates de haute voltige, les nuées de juncos ardoises qui pépient indécemment autour des mangeoires, les cris stridents des geais bleus qui rassemblent leurs troupes et le tap-tap entêtant des pics chevelus solitaires et indépendants sont autant d'incitations frénétiques aux sorties matinales.

imageTous les matins se renouvelle cette même symphonie agrémentée ici et là des ritournelles de dizaine de petites mésanges à têtes noires et, chaque matin, la magie opère et mes chiens et moi sommes aux ''z'oiseaux''.
 

Moi, parce que je sais à quel point une journée, qu'elle soit de pluie ou ensoleillée, est un cadeau qui m'est accordé. Eux parce que je suis leur cadeau… Les chiens sont vraiment des êtres dévoués, ils sont loyaux et fidèles et ils nous sont totalement reconnaissants de leur bonheur: que demander de plus???


Bien sur les écureuils et les oiseaux leur sont sources de bonheur, mais rien n'égale pour eux la main tendre et ferme que je glisse le long de leur dos ou encore le signal d'une promenade annoncée. Mes chiens sont une grande joie dans ma vie et partager avec eux mes exultations printanières est un privilège.

Avoir comme passion le jardinage et l'amour des chiens ne fait pas toujours bon ménage, mais avec le temps nous avons su nous accommoder très raisonnablement…
image Mes chiens connaissent mes limites ou plutôt celles de mes plates-bandes et moi je connais les limites de mes chiens: il me faut savoir déposer pelles et râteaux pour une promenade en mi-journée, question de dégourdir les pattes de toute la meute, les miennes y compris.

Entre temps de grandes plages du jardin ont étés nettoyées, des couches de feuilles laissées par un automne paresseux et dolant sont délicatement grattées afin de dégager les précieuses vivaces et de les dévoiler à la lumière régénératrice.

Chaque printemps me séduit et m'attendrit au-delà de toute attente, je suis sans cesse remuée par cette nature incommensurable qui supplante toute invention humaine et qui redéfinit l'essence même de la vie.

J'aime l'activité intellectuelle de l'écriture qui m'emmène dans des sphères ardues et laborieuses où je dois me reprendre et me rétracter, me corriger et me résumer.

Mais, jardiner me confronte à la Grande Sphère.

Je peux aussi reprendre, corriger, défaire et refaire. Amender et retoucher, bouturer et marcotter, semer et repiquer, mais jamais au grand jamais je peux inventer ou créer.

La nature m'a de longue date supplantée par sa superbe ingéniosité, sa luxuriance et sa magnificence. Avec, en prime, une leçon de patience et d'humilité; la nature est complexe, mais elle s'affiche en toute simplicité…

La force du renouveau printanier est pour moi d'une richesse inégalée et m'associer à l'éveil de la terre est le plus beau pèlerinage qui me soit accordé: toucher une petite partie de l'éternité, voir l'image de la divinité, respirer!

Si la lutte entre la nature et l'écriture me semblait cruel il fallait tout simplement que je sache ménager du temps à chaque passe-temps…

Et finalement, coucher sur papier les balbutiements de cette saison tant aimée fût tout aussi plaisant qu'un après-midi de printemps!

Fée du Lac, Joane Seney, Sainte-Julienne