mardi 10 juillet 2012

1973, l'été de mes dix-huit ans

1973 : une année ordinaire dans une économie perturbée : l’éclosion de l’inflation, voilà ce qu’elle nous rappelle! De par le monde, rien de bien excitant ne s’est produit en 1973 : ce fut une année marquée essentiellement par l’explosion des prix du pétrole consommé à la pompe en raison du premier choc pétrolier provoqué par l’OPEP; mais avec un peu de recul on admettra que le litre d’essence était vraiment très peu cher payé à cette époque. Au Québec, le Gouvernement Libéral de Robert Bourassa a obtenu une éclatante victoire qui lui a permis de réaliser un exploit jamais égalé par la suite. Quelques grandes personnalités sont disparues dont le célèbre peintre espagnol Pablo Picasso et deux de nos anciens premiers ministres : Louis St-Laurent du fédéral et Jean-Jacques Bertrand du provincial.

En ce qui me concerne, 1973 fut l’année des premières : première auto, premières vacances, premier amour, premier vote, premier emploi et premier système de son. La voiture : une immense Sedan américaine ayant appartenu à mon père précédemment; mes premières élections provinciales : l’expérience personnelle d’une retentissante défaite; ma première blonde : une petite brunette volage esseulée par sa précédente relation; mon premier emploi à temps plein : commis dans une fonderie américaine pour les huit années suivantes. Le système de son : un puissant équipement stéréophonique ayant couté une petite fortune. À dix-huit ans, la vie s’ouvrait à moi!

On sait tous que l’automobile conduit à la liberté absolue : enfin libre d’aller où l’on veut bien se rendre, aussi souvent qu’on le désire et avec qui on le désire. À l’époque, se procurer une voiture c’était abordable et la conduire ne coutait pas très cher non plus puisque l’essence ne se vendait que 5,9¢ le litre. On se souciait bien peu de l’avenir : « Allez les amis, venez! Je pars pour Old Orchard, ça vous tente d’embarquer? » Mes cousines Colette et Célyne prirent leur décision et en moins de deux, nous étions déjà en route pour les plages sablonneuses mais frisquettes de la Nouvelle-Angleterre. À dix-huit ans, c’était aussi simple que cela! 

Mais cette auto était bien moche tant à regarder qu’à conduire : beige autant à l’intérieur qu’à l’extérieur, une grosse Sedan quatre portes peu excitante avec un petit moteur V8 plus reconnu pour sa longévité que pour ses performances. À peine 100 000 km au compteur, que je l’ai bichonnée ma Pontiac Strato-Chief 1967. Mon ami Mario poursuivait ses cours de mécanique et je m’en suis remis à lui pour l’entretenir : la mécanique était impeccable et la carrosserie qui rouillait à vue d’œil, fut elle aussi tout à fait resplendissante après une remise à neuf totale. Que j’en ai roulé des kilomètres juste pour m’évader et prendre le large – des détours aussi absurdes qu’inutiles. À dix-huit ans, la liberté n’a pas de prix!

La petite Christiane était bien jolie; rencontrée furtivement dans un ascenseur de l’hôpital, elle me fit un sourire enjôleur auquel je ne pus résister. Par chance, elle demeurait dans le même immeuble que celui de ma cousine Monique. Monoparentale, la mère Blanchette veillait très étroitement sur son adolescente de quinze ans : heures de rentrée restrictives, lieux de sortie passés à la loupe et ma belle Christiane s’ennuyait beaucoup trop de son ancien amoureux pour que ça dure bien longtemps : trois mois et mon amourette n’était plus qu’un vague souvenir. À dix-huit ans, l’amour c’est parfois bien compliqué!

Le Parti québécois aurait bien voulu remporter les élections de 1973, moi aussi d’ailleurs. 
Malheureusement à cette époque, le peuple québécois avait peur du mot « indépendance » et les adversaires en ont tiré parti à profusion. Peur de perdre son emploi, peur de perdre son chèque de pension de vieillesse, peur de perdre son identité canadienne ou son confort douillet? Les québécois sont reconnus pour avoir peur d’avoir peur… Toujours est-il que les Libéraux de Robert Bourassa ont réussi une percée jamais égalée par la suite : 102 députés élus sur un total possible de 110. Malgré presque le tiers du vote recueilli, le Parti québécois n’a réussi à faire élire que six députés. Mon vote s’est perdu parmi les 30,2% qui ont coché du mauvais bord; quelle déception. À dix-huit ans, on idéalise un beau pays!

Après une année scolaire difficile passée dans une concentration qui ne me convenait pas, deux options se présentaient à moi : reprendre ma première année de Cégep dans une nouvelle discipline ou poursuivre mes études aux frais d’une compagnie qui avait à cœur la formation de ses employés les plus méritants. Vous devinerez d’emblée que j’ai choisi la deuxième option : la Griffin Steel Foundries Limited! Une multinationale américaine spécialisée dans la fabrication de roues de chemins de fer pour les wagons à essieux. Ma première tâche revêtait une grande importance : faire le tri des roues défectueuses afin de les faire refondre pour ne livrer aux grandes ferroviaires que des roues approuvées. À chaque déraillement annoncé, je me ruais sur les journaux pour m’assurer que la cause n’était pas relative à une roue défectueuse que j’aurais pu avoir oubliée; heureusement, il n’y en a jamais eu. Sauf que même si la job était importante, il n’en reste pas moins qu’elle était très moche au quotidien et pas vraiment payante : à peine 108$ par semaine ce qui ne représentait pas tellement plus que le salaire minimum de l’époque. Après une pause d’une session, je me suis inscrit aux cours du soir dès que possible. Malencontreusement, je n’avais pas encore pris assez de recul pour décider dans quelle concentration j’allais poursuivre ma formation. Les ressources humaines me semblaient fort attrayantes mais en raison de l’impétuosité de mon caractère, personne dans l’entreprise n’y a cru; et après quelques cours suivis, moi non plus finalement... À dix-huit ans, on veut se rendre quelque part, mais on ne sait pas toujours où exactement!

Wow! En 1973, j’aurais pu m’acheter une Chevrolet Nova toute neuve pour aussi peu que 3 500$. J’ai plutôt préféré prendre cet argent pour m’acheter un ‘gros-gros’ système de son : 100 watts par canal, c’était vraiment puissant à cette époque. Ampli-préampli, table tournante avec une cartouche à la fine pointe, un syntonisateur AM/FM, des hautparleurs électrostatiques : de la grande technologie payée très cher mais qui sera toutefois vite tournée en désuétude. Et pour maximiser mon plaisir, il a bien fallu nourrir la grosse bête de musique : des longs jeux, beaucoup d’albums : plus de deux cents cinquante disques achetés. Et que j’en ai fait du bruit!.... assez pour écœurer le voisinage, assez pour m’attirer les foudres de mes parents et assez pour que ma mère se remémore encore aujourd’hui les chansons que je faisais jouer ad nauseam et ce, même si quarante ans se sont écoulés depuis. À dix-huit ans, on s’affirme!

La famille et les amis dans tout ça? Fêter ses dix-huit ans c’est prendre un passeport vers la liberté. L’espace d’un été je me suis affranchi de ma famille et les amis ont pris toute la place : que ce soit en auto, en vacances, à écouter de la musique ou dans les sorties, mon cousin, mes cousines et mes amis ont été omniprésents. Les cent coups? Pas vraiment. La boisson? Pas beaucoup plus puisque je n’ai jamais supporté l’alcool; un peu trop ça me rend malade.  Lorsqu’on fête ses dix-huit ans, la famille on l’oublie!

En rétrospective, je dirais que l’été de mes dix-huit ans fut le début d’un temps nouveau, un tremplin pour la vie. Il n’en reste plus qu’un vague souvenir puisque tous les biens acquis se sont envolés en désuétude et tous les amis ont vieilli; ils ont fait leur vie de leur côté et moi du mien. Il ne reste plus que quelques parents que je revois à l’occasion – on se rappelle nos bons souvenirs de l’été de mes dix-huit ans. À dix-huit ans, on ne se soucie que du présent!

Claude H. Beauregard

N.D.L.R. Monsieur Beauregard a remporté le premier prix au Concours d'écriture de J'écris ma Vie 2012 dont le thème était: « L'été de mes dix-huit ans». Nous l'en félicitons chaleureusement.

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