samedi 26 septembre 2009

Noël 1936

J’ai sept ans et pour la première fois je pourrai assister à la messe de minuit.

À cette époque, c’était bien avant Vatican II, il n’y avait pas de messe le soir sauf à Noël où le prêtre pouvait célébrer trois messes à la suite l’une de l’autre. La première messe commençait à minuit exactement et les personnes pieuses et les moins pressées assistaient parfois aux trois messes, les autres comme nous qui habitions à quatre milles du village quittaient aussitôt la première messe terminée.

Plusieurs jours avant Noël, les enfants étaient surexcités à l’idée de veiller tard pour une fois et surtout réveillonner en pleine nuit. Des semaines et des semaines avant la fête, les mamans et les grandes soeurs s’affairaient à préparer un festin inusité: tourtières, ragoût de boulettes, tartes, gâteaux, beignes et bûches de Noël. Le grand soir arrivé, papa allumait le fanal, car nous n’avions pas encore l’électricité, il se rendait à l’étable pour atteler le cheval au traîneau. Vêtus de nos plus beaux atours, bien emmitouflés dans la peau de carriole nous glissions sur la neige blanche tirés par notre jument Nelly qui trottait joyeusement au tintement des grelots suspendus à son harnais...« au petit trot s’en va le cheval avec ses grelots... »

La pleine lune éclairait notre route et un froid vif nous pinçait les narines lorsque nous osions sortir le nez de nos foulards, une fumée blanche s’exhalait des narines de Nelly.

Arrivés au village longtemps avant l’heure, papa dételle Nelly et l’attache au chaud dans l’étable de Monsieur Aubé. Nous nous joignons aux gens des rangs regroupés à la salle paroissiale pour échanger des nouvelles en attendant le début de la messe. A l’heure venue, nous prenons place dans notre banc de famille qui se trouve juché au jubé juste à côté de l’escalier; trop petite pour voir l’autel et le célébrant en bas, je me reprends en épiant chaque arrivant qui doit nécessairement passer devant notre banc. De plus, nous sommes placés près de l’orgue et des chantres.

A minuit Monsieur Lavallée entonne le « minuit chrétiens » et au refrain la chorale s’époumone avec lui « peuple à genoux, attends... » Je n’ai pas sommeil, j’ai trop à voir: l’église toute illuminée et décorée, c’est féerique! Les orgues vibrent, tout le répertoire des cantiques de Noël y passe, au moment de la communion, nous descendons du jubé et en m’approchant de la Sainte Table, je peux contempler la crèche avec son petit Jésus en cire tout blond et tout frisé. Sur la balustrade est installé un tronc surmonté d’un archange qui salue à chaque pièce de monnaie déposée par un enfant riche sans doute...
La messe terminée, le retour se fait avec un peu moins d’enthousiasme, j’ai froid, j’ai sommeil et j’ai hâte de retrouver la tiédeur de mon lit. De plus je n’ai plus faim et je n’attends pas de cadeaux, je n’en ai pas l’habitude, mes parents sont trop pauvres. Surprise! En arrivant à mon lit, j’aperçois mes deux poupées de plâtre vêtues de neuf et bien installées sur leur petite chaise de bois; il y a également un petit lit en bois avec matelas et oreiller. Ces deux poupées jumelles garçon et fille, je les avais reçues de ma grande soeur, très fragiles, les bras et les jambes articulés retenus par de minces élastiques, j’osais à peine y toucher, le souvenir d’avoir cassé par maladresse quelques années plus tôt l’unique poupée que ma soeur ait jamais possédée me hantait encore... A mon insu, mon père m’avait fabriqué ces deux petites chaises et ce lit, maman avait complété ces chefs-d’oeuvre en confectionnant le matelas, l’oreiller et les vêtements de rechange.

Ce fut le plus beau cadeau de mon enfance! Ce qui me rendit cependant heureuse par dessus tout, c’est que mes parents en posant ce geste ensemble pour me faire plaisir semblaient s’aimer un peu plus que d’habitude cette nuit-là...

Annette Garant Beaulieu

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